Catégorie : couleur Page 1 of 2

Trois nouvelles peintures : coeur d’hiver

Cœur d’hiver I – acrylique sur toile 80 x 80 – Corinne Leforestier 2024

âge des cavernes

Les arbres se livrent peu à peu à leurs branches, penchent vers leur couleur et poussent en tous sens des feuilles pour se gagner les murmures de l’air. Ils respectent comme des dieux leurs images dans les étangs où tombent parfois des feuilles sacrifiées.
Les racines se demandent s’il faut ainsi s’accoupler au sol. Au milieu de la nuit l’une sort de terre pour écouter les étoiles et trembler.
La mer entend un bruit merveilleux et ignore en être la cause.
Les poissons qui se croisent feignent de ne pas se voir.
Puis se cherchent durant des siècles.
Les rivières s’étonnent d’emporter toujours le ciel au fond de leur voyage et que le ciel les oublie. Le ciel ne pose qu’une patte sur l’horizon, l’autre restant en l’air, immobile, dans une attente circulaire.
Tout le jour la lumière essaie des plumages différents et parfois, au milieu de la nuit, dans l’insomnie des couleurs.
La terre se croit une forêt, une montagne, un caillou, un souvenir. Elle a peur de l’horizon et craint de se disperser, de se trahir, de se tourner le dos. La nuit, le corps le long des corps, les visages près des visages, les fronts touchant les fronts, pour que les rêves se prêtent main-forte. L’âme bourdonne et s’approche pour voir comment bat un cour dans le sommeil. Elle confond les étoiles avec les grillons et les cigales. Elle aime le soleil qui n’ose pas pénétrer dans les cavernes et se couche comme un chien devant le seuil.
On reconnaît les songes de chacun au dessin des paupières endormies.
Passent des animaux précédés d’un cou immense qui sonde l’inconnu, l’écartant à droite et à gauche, avec le plus grand soin. Ils défrichent l’air vierge. Sans en parler aux autres insectes les fourmis montent sur la cime des arbres pour regarder.
Quand des tribus se rencontrent on se souffle au visage comme font les buffles qui se voient pour la première fois. On se regarde de tout près jusqu’à ce que les regards mettent le feu aux yeux. Alors on recule et on se saute à la gorge.
Les animaux se demandent lequel parmi eux sera l’homme un jour. Ils consultent l’horizon et le vent qui vient de l’avenir. Ils pensent que peut-être l’homme rampe déjà dans l’herbe et les regarde tour à tour présumant de leur chair et de son goût.
L’homme se demande si vraiment ce sera lui.

Jules Supervielle – Gravitations

Cœur d’hiver II – acrylique sur toile 80 x 80 – Corinne Leforestier 2024

Cœur d’hiver III – acrylique sur toile 80 x 80 – Corinne Leforestier 2024

 les trois ensemble

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Une nouvelle peinture : le chant de l’eau

le chant de l’eau- technique mixte sur toile 100 x 81 – 2024 – Corinne Leforestier

Le chant de l’eau

L’entendez-vous, l’entendez-vous
Le menu flot sur les cailloux ?
Il passe et court et glisse,
Et doucement dédie aux branches,
Qui sur son cours se penchent,
Sa chanson lisse.

Là-bas,
Le petit bois de cornouillers
Où l’on disait que Mélusine
Jadis, sur un tapis de perles fines,
Au clair de lune, en blancs souliers
Dansa ;

Le petit bois de cornouillers
Et tous ses hôtes familiers,
Et les putois et les fouines,
Et les souris et les mulots,
Écoutent
Loin des sentes et loin des routes
Le bruit de l’eau…

Emile Verhaeren

 

 

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Une peinture pour fêter l’arrivée du printemps

au printemps – Technique mixte sur toile 80 x 80  © Corinne Leforestier 2023

 

Cheveux au vent
Tambour battant,

Allons
nousen,
À la rencontre du printemps.

Des arbres, des toits, des auvents,
Il pleut des milliers d’hirondelles.

Le soleil verse sur les champs,

De pleins paniers de fleurs nouvelles.

Cheveux au vent,
Tambour battant,

Allons
nousen,
À la rencontre du printemps.

Prenons nos trompettes gaiement
Et sonnons la mort de l’hiver.

La terre est comme un agneau blanc

Dans les bras nus de l’univers.

Cheveux au vent,
Tambour battant,

Allons
nousen,

Maurice Carême

Quelques détails de la peinture pour y plonger le coeur battant…

 

cette peinture est exposée à la galerie.

Visitez

Je vous souhaite de belles balades, cheveux au vent

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la traversée des entournements : dernière peinture 2022

Ma dernière peinture, pour partir explorer l’inconnu …

la traversée des entournements – Technique mixte sur toile – 114 x 146 – © corinne leforestier

J’aime me perdre dans la peinture lorsque je peins.
Y retrouver des traces laissées par accident et partir en cheminements variés.
Les extraits suivants du texte Émergences-résurgences d’Henri Michaux expriment bien ce que je cherche en peignant.
Et c’est sans fin, toujours ouvert sur l’inconnu à découvrir.

Peindre pour manipuler le monde (les formes), et tâter de plus près, directement. Je devais sans doute rencontrer la peinture. La peinture est une base où on peut commencer à zéro. Support qui doit moins aux ancêtres. Au moins je fais éclater un des couvercles qui me retenait.

[…]

Par mon incapacité, riche au moins en surprises, je me donne des surprises… plus qu’ailleurs, jeune par jeune savoir. Par les chocs, les bévues. (Et non pas fixé au résultat tel quel, mais pour savoir ce qui viendra après, Peinture-étape.)

[…]

Peinture pour l’aventure, pour que dure l’aventure de l’incertain, de l’inattendu. Après des années toujours encore l’aventure.

Émergences-résurgences – Henri Michaux

Quelques détails de la peinture pour partir en exploration …

Je vous souhaite pour 2023 de cheminer
de découvertes en surprises,
de rester toujours dans l’Ouvert…

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au bout de l’île : nouvelle peinture

Ma dernière peinture, de retour du moulin normand …

au bout de l’île – technique mixte sur toile (114 x 146) © Corinne Leforestier 2022

La rivière endormie

Dans son sommeil glissant l’eau se suscite un songe
Un chuchotis de joncs de roseaux d’herbes lentes
Et ne sait jamais bien dans son dormant mélange
Où le bougeant de l’eau cède au calme des plantes

La rivière engourdie par l’odeur de la menthe
Dans les draps de son lit se retourne et se coule
Mêlant ses mortes eaux à sa chanson coulante
Elle est celle qu’elle est surprise d’être une autre

L’eau qui dort se réveille absente de son flot
Écarte de ses bras les lianes qui la lient
Déjouant la verdure et l’incessant complot
Qu’ourdissent dans son flux les algues alanguies.

Claude ROY – Poésie Gallimard

 

Les croquis de préparation pris sur le vif, assise dans l’herbe au moulin (sans juilletas c’est-à-dire les aoûtas de juillet).

Un autre poème pour partir en balade les pieds dans l’eau….

La rivière

 D’un bord à l’autre bord j’ai passé la rivière,
Suivant à pied le pont qui la franchit d’un jet
Et mêle dans les eaux son ombre et son reflet
Au fil bleui par le savon des lavandières.

J’ai marché dans le gué qui chante à sa manière.
Étoiles et cailloux sous mes pas le jonchaient.
J’allais vers le gazon, j’allais vers la forêt
Où le vent frissonnait dans sa robe légère.

J’ai nagé. J’ai passé, mieux vêtu par cette eau
Que par ma propre chair et par ma propre peau.
C’était hier. Déjà l’aube et le ciel s’épousent.

Et voici que mes yeux et mon corps sont pesants,
Il fait clair et j’ai soif et je cherche à présent
La fontaine qui chante au cœur d’une pelouse.

Robert DESNOS – Recueil « Contrée »

A quand la prochaine pluie ?…

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La clue

L’une de mes dernières peintures est une clue.

Pourquoi peindre ce passage si étroit
creusé par l’eau entre deux falaises ?

Peut-être pour me rappeler qu’une goutte d’eau ajoutée à une goutte d’eau creuse toujours son passage entre les roches.
La lumière aussi.

la clue

La clue – technique mixte sur toile 130 x 90 – 2021 © Corinne Leforestier

On s’abandonne les yeux fermés à l’eau qui, inépuisablement, ouvre les chemins ; nulle excursion n’est plus envoûtante que celle où le bien-être inhérent à tout voyage au fil de l’eau se double de la sécurité magique qui s’attache au fil d’Ariane. Ainsi pendant de longues minutes, la barque progresse dans le silence glauque ; en même temps que le soleil, les falaises arrêtent jusqu’au moindre souffle d’air. Au milieu de l’excursion de l’Evre, ces moments de silence, dans ma mémoire, viennent se poser comme un long point d’orgue ; ce silence, un doigt sur les lèvres, debout et immobile, et matérialisé en demi au creux de ces étroits plein de présences païennes, c’est vraiment le génie du lieu qui l’impose.

Julien Gracq – extrait des eaux étroites

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bord de rivière

Les bords de rivière m’ont toujours apaisée. La lecture de Jean Giono aussi …

bord de rivière – technique mixte sur toile 50 x 50 – 2014 © Corinne Leforestier

Cette heure trouble où les jours se séparent de la nuit, où l’ombre se dépose dans les vallées de la terre, où le ciel s’éclaire, où tout est comme un vase qu’on a longtemps agité et qui maintenant va avoir son repos et sa clarification. Le rossignol a changé son chant. Ce n’est plus ce ruissellement de musique dont il a noyé sa femelle – et elle est sur la branche du tilleul, désormais lourde et sourde, et elle a fermé ses petites paupières rondes et le vent la balance du même balancement que les feuilles – ce n’est plus ce fleuve sonore, c’est une longue note à peine un peu tremblante. Longue comme ce déchirement de l’aube là-bas, au-dessus des collines de l’Est. Des gouttes de rosée glissent le long des feuilles des arbres, puis tombent, et les arbres sont tout tremblants et il n’y a pas de vent, mais cependant voyez comme les aulnes et les peupliers frémissent. L’air est léger. Il a cette qualité des eaux de source dans la montagne : on arrive là ; on a soif. On la voit verte, on la croit trop fraîche. On la boit, et alors on la trouve justement faite pour l’état exact de votre gosier et de votre corps à ce moment-là. Et vous repartez avec des forces nouvelles. Le soleil se lève. Avec lui les odeurs. Dans les lointaines collines, les lilas sont fleuris. Le fleuve a baissé là-bas, dans les fonds de la vallée, car l’odeur des limons vient de monter. Un écureuil a écorché les hautes branches du bouleau ; une odeur de miel vient de descendre. Les pluies passées ont découvert les racines d’un cyprès qui sentent l’anis. Une belette invisible court sous l’herbe du pré, et nous ne la voyons pas, nous voyons seulement l’aigrette des avoines qui tremble, mais nous sentons toutes les odeurs de ces herbes que la belette charrie de ses petits bonds souples, la flouve, l’esparcette, la fétuque, le trèfle et le sainfoin, la pâquerette et les mille petites herbes collées contre la terre noire, et la terre noire elle-même, avec ses champignons, ses vers, ses petits morceaux de bois pourris.

Je suis couché et je dors. Comment le jour entre-t-il en moi ? Dans le moment de cette heure trouble où le jour est né, moi-même endormi, ai été clarifié ; les rêves se sont enfuis comme le vent des arbres et le sommeil s’est déposé lentement dans les vallées de mon corps. Déjà tout ce qui émerge – pareil au sommet des collines qui dans le monde au-dehors viennent se gonfler en bosses d’or – tout ce qui émerge du sommeil en moi prend vie et chante. Je suis encore endormi mais j’entends, je sens les odeurs, je bois instinctivement à la fraîche fontaine de l’air nouveau. Les bruits et les parfums me racontent des histoires que ma pensée toute libre enregistre. Par l’odeur d’anis j’ai vu, les yeux fermés, les racines noires du cyprès ; par le chant du rossignol j’ai vu la dame rossignol ivre d’amour et de chanson nocturne, s’abandonner à la danse aurorale des feuilles ; par le froussement de la prairie et les éclats de parfum qui jaillissent dans les bonds de la belette, comme des cymbales d’odeur, j’ai suivi la course de la belette fauve depuis le tronc du saule jusqu’à sa petite bauge chaude. Enfin mes paupières sont touchées d’un épi d’or. Je m’éveille. Le soleil est posé sur mon visage.

un extrait de « rondeur des jours » de Jean Giono

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Pluie orageuse

Une nouvelle peinture pour temps incertains

pluie d'orage - peinture 90 x 70

Pluie orageuse – technique mixte sur toile 90 x 70 – 2020 © Corinne Leforestier

Fait-elle écho à ce texte de André Du Bouchet ?

Fleurs

        Pas plus haut,
                        où elles s’arrêtent, ces eaux
bleues ! Que le premier escarpement des fleur tout à coup transpirant dans l’air froid,
                                                           et aussi rude.

 

                                           Mais le baiser, venu
par les fonds raboteux, où, poussiéreuse brassée, je disparais dans le jour qui attend le soleil.

 

                           Qu’elles ne l’arrêtent pas, la façade
sera rendue, elle, aux pierres.

 

     Parmi les fleurs, encore, ceinturée par la chaleur
du nuage, puis par le vent, au cœur des routes,
                                               le nuage ! Se heurtant à
ce qui a fleuri.

 

     S’il faut, pour qu’elles grandissent, avoir
croulé
jusqu’au bleu,
                         la sauge,
                                             à quelque route.

                                                

                                              Plus tard, comme le pas,
la nuit, les voit, leurs faces maintenant tendues,
                                                       linge dans l’air ras !

 

André du Bouchet – ou le soleil – poésie / Gallimard p 145

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Printemps, ici, ailleurs : une nouvelle peinture

Le printemps est là. Il m’a inspiré une nouvelle peinture.

Printemps, ici, ailleurs - technique mixte sur toile 130 x 90 – 2020 © corinne leforestier

Printemps, ici, ailleurs – technique mixte sur toile 130 x 90 – 2020 © Corinne Leforestier

En ces temps arrêtés, partager un texte de Paul Eluard

Ailleurs ici partout

[…]
Là je vois de près et de loin
Là je m’élance dans l’espace
Le jour la nuit sont mes tremplins
Là je reviens du monde entier
Pour rebondir vers chaque chose
Vers chaque instant et vers toujours
Et je retrouve mes semblables

Je parle d’un temps délivré
Des fossoyeurs de la raison
Je parle de la liberté
Qui finira par nous convaincre
Nul n’aura peur du lendemain
L’espoir ne fait pas de poussière
Rien ne sera jamais en vain

Je cherche à me créer une épreuve plus dure
Qu’imaginer ce monde tel qu’il pourrait être
Je voudrais m’assurer du concret dans le temps
Partir d’ici et de partout pour ailleurs

Ouvrir vraiment à l’homme une porte plus grande
[…]

Paul Eluard – Poésie ininterrompue – Œuvre poétique VI
Éditions du club de l’honnête homme p 180

En vous souhaitant un beau printemps à rêver les créations à venir.
Dans cette édition, ce poème est précédé d’une citation de Diderot :

Il y a quelque adresse à avoir mis mes idées dans la bouche d’un homme qui rêve: il faut souvent donner à la sagesse l’air de la folie, afin de lui procurer ses entrées; j’aime mieux qu’on dise: « Mais cela n’est pas si insensé qu’on croirait bien »,
que de dire : « Écoutez-moi, voici des choses très-sages. »

Diderot – lettre à Sophie Volland

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Premières neiges : une nouvelle peinture

Les premières neiges sont là, elles m’ont inspiré une nouvelle peinture.

Premières neiges – technique mixte sur toile 146 x 114 – 2019 – © Corinne Leforestier

Et dans le tumulte silencieux résonne un poème de Supervielle

Descente de Géants

Montagnes derrière, montagnes devant
Batailles rangées d’ombres, de lumières,
L’univers est là qui enfle le dos,
Et nous, si chétifs entre nos paupières,
Et nos cœurs toujours en sang sous la peau.

Faut-il que pour nous brûlent tant d’étoiles
Et que tant de pluie arrive du ciel,
Et que tant de jours sèchent au soleil
Quand un peu de vent éteint notre voix,
Nous couchant le long de nos os dociles ?

Viendront les géants tombés d’autres mondes,
Ils enjamberont les monts, les marées,
Et vérifieront si la terre est ronde,
Par dérision, de leurs grosses mains,
Ou bien, reculant, de leurs yeux sans bords.

Jules Supervielle – La fable du monde
Poésie Gallimard Pléiade NRF p 402

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